Parler de la maladie est un exercice délicat. On veut rendre compte de la réalité, partager un vécu, mais sans sombrer dans le pathos, ni accabler l’autre sous le poids d’une douleur brute. En famille, dans les échanges intergénérationnels, ou dans le cadre plus large de la transmission de mémoire, les mots choisis comptent. Alors, comment en parler justement ? Comment évoquer la maladie pour ce qu'elle est — une expérience humaine complexe — sans tomber dans l'émotion excessive ou le misérabilisme ?
Pourquoi est-il si difficile de parler de la maladie ?
La maladie bouleverse. Elle touche au corps, à la vie quotidienne, parfois à la survie, et elle remet en question des repères fondamentaux. L’émotion qu’elle suscite chez la personne malade comme chez ses proches est intense. C’est précisément cette charge émotionnelle qui rend le discours difficile à équilibrer.
Aucune famille n’échappe à la maladie, mais rares sont celles qui en parlent librement. La peur de mal dire, de raviver les blessures, ou de projeter son émotion sur l’autre est omniprésente. Pourtant, les témoignages en lien avec la maladie peuvent être libérateurs pour la personne qui les partage comme pour ceux qui les reçoivent.
Choisir les bons mots pour éviter le pathos
Le pathos surgit quand l’expression tourne autour de l’exagération de la souffrance. Pour l’éviter, il s’agit de rester factuel sans être froid, et sensible sans tomber dans le mélodrame. Voici quelques pistes :
- Parler en "je" : Au lieu de généraliser ou d'employer des formules lourdes, employer un récit personnel aide à rester vrai tout en laissant la place à la nuance.
- Inclure différents aspects de la vie : Même durant une maladie, il y a des instants de joie, de réflexion, d’espoir. Évoquer ces moments évite une vision uniformément sombre.
- Utiliser des métaphores simples : Sans gommer la réalité, les images peuvent alléger le propos sans en nier la gravité.
- Laisser des silences : S’autoriser des pauses dans le récit ou dans l’écriture permet au lecteur ou à l’auditeur de digérer ce qui est dit.
Ces conseils sont précieux aussi bien dans des conversations que dans les témoignages écrits. Raconte-moi ton histoire, un livre à compléter en famille, propose une trentaine de questions qui ouvrent naturellement à ces récits sensibles sans imposer un ton dramatique. À travers des pages guidées, chacun peut aborder ses souvenirs à son rythme — y compris ceux liés à une maladie importante.

Donner du sens plutôt que chercher la pitié
Une maladie, dans son absurdité et sa brutalité, peut aussi devenir porteuse de sens. Sans lui donner une intention ou une justification, on peut cependant intégrer cette épreuve à l’histoire d'une personne — en parler comme d’un chemin, d’un tournant, ou d’un révélateur.
L’essentiel est de replacer la personne au cœur de son récit. Plutôt que de centrer la parole sur la maladie elle-même, il est plus riche d’expliquer comment elle a été vécue, ce qu’elle a changé dans le rapport aux autres, aux priorités de vie. Cela aide à construire un récit équilibré, loin du misérabilisme, et utile tant pour celui qui témoigne que pour celui qui reçoit.
Créer un espace de parole sécurisant
Parler de la maladie exige un cadre de confiance. Que ce soit dans un échange oral ou à l’écrit, il est préférable de :
- Laisser la personne choisir les sujets qu’elle souhaite aborder.
- Ne pas chercher à combler les silences ou à précipiter des conflits émotifs.
- Accueillir sans juger, sans tenter de corriger l’histoire personnelle.
Dans un cadre thérapeutique, ces principes relèvent souvent de l’écoute active. En famille, ils peuvent tout autant être appliqués, surtout lorsque des souvenirs sont partagés à l’écrit, comme dans les initiatives de récolte de mémoire auprès d’un parent malade.

Transmettre son témoignage : un acte utile et réparateur
Transmettre son histoire — même celle sculptée par la maladie — peut représenter un acte puissant de reconstruction. C’est le sujet principal que nous abordons dans cet article sur comment transmettre son témoignage après la maladie. Cela permet non seulement de donner du sens à ce vécu mais aussi d’adresser une parole sensible aux générations futures.
L’échange ne se fait pas à sens unique : en partageant, on permet aussi à l’autre de mieux nous comprendre, d’intégrer notre histoire dans l’histoire familiale, et parfois de réconcilier des vécus différents autour du même événement.
Écrire pour soi, parler pour les autres
L’écriture est peut-être l’un des moyens les plus sûrs d’éviter le pathos. Elle permet un recul, une relecture, une reformulation. Écrire aide à réfléchir à ce que l’on souhaite réellement transmettre. Le processus de rédaction peut ainsi accompagner l’acceptation, comme nous l’expliquons en détail dans cet article sur l’écriture et l’acceptation de la maladie.
Des supports tels que Raconte-moi ton histoire offrent un cadre bienveillant pour cette écriture. Pensé pour être offert à un parent, un grand-parent ou à une personne proche, il propose des questions qui permettent d’aborder naturellement ces sujets sans les forcer. On peut y consigner ses souvenirs de manière concrète, apaisée et structurée. C’est un outil de transmission de mémoire qui intègre le vécu avec dignité.
Inclure la maladie dans l’histoire familiale
Une histoire de maladie, aussi difficile soit-elle, fait partie de l’histoire familiale. En témoignant, on nourrit le lien entre les générations. On sort du non-dit, on préserve des enseignements, et on rappelle qu’un combat contre une maladie parle aussi de résilience, de courage, de lien.
Il est ainsi parfaitement possible de renforcer les liens familiaux à travers ces récits de combat, en les racontant avec sincérité mais sans pathos. Parler de ce qui a été vécu, des émotions, des traitements, des moments heureux aussi, permet aux plus jeunes de comprendre et d’honorer les parcours de vie de leurs aînés.
Parce qu'au fond, c’est bien cela l’enjeu : parler de la maladie, oui, mais pour relier, jamais pour séparer.