Que ressent une personne atteinte d’Alzheimer quand elle oublie ses proches ?

Comprendre ce que vit une personne atteinte de la maladie d'Alzheimer lorsqu'elle oublie ses proches n'est jamais simple. Pour ceux qui entourent ce proche, cela peut sembler cruel, injuste, voire douloureux, mais pour la personne elle-même, la réalité est encore plus complexe et profonde. Décrypter ces sensations, même si elles échappent parfois aux mots, permet d’appréhender la maladie avec plus d’empathie, de patience et de justesse.

Perdre ses repères : une angoisse silencieuse

La maladie d'Alzheimer désoriente profondément. Elle désorganise non seulement les souvenirs mais aussi les émotions. Lorsqu’un proche est oublié, ce n’est généralement pas parce qu’il n'a pas compté. La connexion émotionnelle, même amoindrie, peut persister bien après la perte des repères cognitifs.

Selon plusieurs neurologues, les malades conservent encore longtemps une capacité à ressentir : les visages leur deviennent parfois inconnus, mais les sentiments qu’ils suscitent peuvent rester familiers. Ainsi, une mère atteinte d’Alzheimer peut ne pas reconnaître sa fille mais éprouver une tendresse spontanée en sa présence, signe que l’émotion précède souvent la mémoire explicite.

Cette sensation d’être perdue, de décrocher du réel, est souvent accompagnée de peur ou de confusion. Certains patients expriment cette détresse par l’agitation, d’autres par un mutisme abrupt. C’est pourquoi il est essentiel d’observer les signaux non verbaux, ces petits indices qui traduisent un ressenti encore bien vivant.

Comprendre la douleur de l’oubli côté patient

Ce que peu de proches savent, c’est que les personnes touchées par Alzheimer peuvent avoir conscience de leurs pertes, surtout aux stades précoces. Cette lucidité peut s'avérer extrêmement douloureuse. Elle se manifeste par des phases de découragement, voire de honte ou de frustration.

Dans un article que nous avons consacré à la disparition progressive des souvenirs, nous expliquons comment ce processus, lent et fragmentaire, bouleverse profondément les malades, mais aussi leur entourage. Quand une personne consciente de ses pertes déclare : « Je crois que je t’ai connu, mais je ne sais plus quand », elle ne nie pas l’amour passé ; elle mesure simplement son impuissance à se le rappeler.

Cette douleur est d’autant plus difficile à verbaliser qu’elle confronte la personne à une double perte : celle de l’autre, et celle d’elle-même. Car dans ces souvenirs égarés, ce sont aussi des pans entiers de sa propre identité qui s’effacent.

Livre sur un lit avec un stylo à côté

Peut-on transmettre encore quelque chose quand la mémoire lâche ?

Le sentiment de vide ou de déconnexion ressenti chez les malades ne signifie pas que toute forme de transmission est impossible. Bien au contraire. C’est parfois dans les phases les plus difficiles de la maladie que les proches cherchent avidement à préserver ce qu’il reste : un geste, une anecdote, une photo, une phrase écrite, un rire partagé.

Dans notre article "Peut-on consigner les souvenirs d’un proche même s’il oublie déjà beaucoup ?", nous explorons cette question fondamentale. Même lorsque la parole devient difficile, beaucoup de souvenirs peuvent être ravivés par un objet, une odeur, un son, une chanson familière. Ensuite, à travers des mots simples ou des gestes, le patient peut encore livrer des fragments de ce qu’il a été.

C’est dans cette optique que le livre Raconte-moi ton histoire a vu le jour. Sous forme de questions guidées, il accompagne les familles dans cette recherche de transmission douce et humaine. Certaines personnes l’offrent à leurs proches dès les premières étapes du trouble, d’autres le remplissent eux-mêmes en laissant les pages vierges au patient, comme une trace à retrouver plus tard.

Livre ouvert sur une page arbre généalogique

Comment accompagner un proche oublié sans provoquer de souffrance ?

Face à l’oubli, le réflexe naturel est souvent de corriger ou de rappeler : « Tu te souviens de moi ? Je suis ta fille ! ». Pourtant, ces efforts, aussi bienveillants soient-ils, peuvent renforcer l’angoisse du malade. Ne pas se souvenir alors qu'on y est sommé crée une pression insoutenable.

Il est donc préférable d’entrer dans la réalité de la personne, même si celle-ci semble tordue ou irréelle. Cela permet d’échanger sur le moment présent, de nourrir une relation émotionnelle plutôt qu’intellectuelle.

Dans cet article destiné à aider les enfants à comprendre Alzheimer chez un grand-parent, nous évoquons l’importance de la présence plutôt que de la performance : il ne s’agit pas de réussir une conversation, mais de partager un moment de lien, aussi bref soit-il.

Donner du sens à ce qui reste à partager

La maladie d’Alzheimer ne sanctionne pas seulement les souvenirs, elle rebat les cartes de la relation. Mais dans ce désordre, il subsiste des choses à construire : un regard, une caresse, un rituel renouvelé chaque semaine. On peut alors parler d’une autre forme de mémoire : la mémoire affective, celle qui s’appuie sur la routine et les sensations.

Étonnamment, certains souvenirs liés à l’émotion résistent à l’effacement. Les malades se souviennent parfois d’un souci récurrent dans la famille, d’un évènement marquant avec un petit-enfant, alors même qu’ils ne reconnaissent plus les visages. C’est cette part-là qu’il reste possible d’explorer, de nourrir, de collecter.

Dans notre réflexion sur la mémoire familiale face à l'oubli, nous évoquons les façons de bâtir malgré tout une continuité, pour les générations futures, à travers des objets, des récits mis par écrit, des photos commentées, ou des enregistrements audios.

Créer une trace avant que l’oubli ne l’emporte

Avant que ne survienne l’oubli total, les proches ont parfois un laps de temps incertain pour recueillir les bribes d’une vie. Ces instants sont précieux. Prendre le temps de les consigner est sans doute l’un des plus beaux gestes d’amour que l’on puisse offrir à un proche en perte de mémoire.

Utiliser un outil dédié, comme Raconte-moi ton histoire, c’est offrir un espace doux à ceux qui veulent transmettre sans pression, à leur rythme, en se sentant guidés par de petites questions à l’apparence anodine mais riches de sens. Beaucoup de familles ont commencé ce livre ensemble, un dimanche après-midi, entourés de souvenirs et d’un carnet rempli peu à peu de moments inoubliables.

Ces récits écrits deviennent avec le temps de véritables ponts entre les générations, quand les mots se font rares ou que les visages s’estompent. C’est ainsi que, même lorsque l’oubli s’installe, quelque chose continue de passer : une trace, un fil, une mémoire partagée.