
Le pardon est une des dimensions les plus complexes des relations humaines. Quand on est blessé, trahi, ou humilié, se pose tôt ou tard la question : peut-on vraiment pardonner si la personne en face ne reconnaît pas ses torts ? Faut-il que l’autre demande pardon pour pouvoir avancer ? La réponse dépend souvent de notre vécu, de notre rapport à l’émotion, à la justice, avec parfois en arrière-plan notre histoire familiale. Dans cet article, nous explorons cette interrogation avec nuance, en accueillant la complexité propre à chaque chemin de pardon.
Le pardon : acte intérieur ou échange à deux ?
Beaucoup de conceptions du pardon le présentent comme un processus à deux : celui qui a causé la blessure doit la reconnaître et demander pardon pour que le dialogue réparateur puisse s’amorcer. Cette étape est souvent jugée essentielle car elle permet à la personne blessée de ne pas porter seule le poids de la faute. Pourtant, l’attente d’un pardon formulé peut devenir un piège : si cette demande ne vient jamais, le risque est de rester enfermé dans la douleur, dans une posture d’attente stérile.
La question se pose alors différemment : peut-on choisir de pardonner, même si l’autre ne reconnaît pas son tort ? Dans cet acte unilatéral, le pardon cesse d’être une transaction pour devenir un acte de libération personnelle. Il ne s’agit pas de nier la blessure, ni de dédouaner le fautif de ses responsabilités, mais de cesser de se laisser définir par l’agression subie.
Pourquoi le besoin de reconnaissance est si fort ?
Lorsqu’on a été blessé, on attend souvent une forme de justice émotionnelle. On veut que l’autre reconnaisse qu’il a fait du mal. Ce besoin de validation n’est pas égoïste : il est humain. Il touche notre dignité. L’absence de demande de pardon peut être perçue comme une continuation de la blessure, voire un mépris silencieux. D’autant que dans les relations affectives – familiales ou amoureuses – la reconnaissance du tort est une étape fondatrice de réparation.
Ce besoin de reconnaissance est particulièrement fort dans les dynamiques intergénérationnelles. De nombreuses personnes âgées expriment avec douleur que certaines blessures vécues dans leur jeunesse sont restées sans explication. C’est pourquoi des outils comme le livre “Raconte-moi ton histoire” apportent une valeur précieuse : ils offrent un espace pour revisiter, en douceur, les jalons de sa vie, les fêlures, mais aussi les réparations possibles. Cette forme d'expression autonome facilite autant la parole que l'écoute bienveillante dans les familles.

Quand le pardon devient un geste pour soi
Dans certains cas, attendre que l’autre demande pardon revient à remettre notre paix intérieure entre ses mains. Or, si cette personne est dans le déni, absente, ou décédée, cette attente tourne à l'impossible. Le risque de rester figé dans la douleur est alors majeur.
Beaucoup d’approches psychothérapeutiques modernes invitent à considérer le pardon comme un acte symbolique d’émancipation. L’objectif n’est pas de réconcilier à tout prix, mais de désamorcer l’emprise émotionnelle que cette blessure exerce sur notre vie psychique. Ce pardon sans réciprocité est souvent vécu comme une étape difficile mais libératrice – un deuil de l’attente.
Des pratiques introspectives comme l’écriture, les lettres non envoyées, ou la relecture de son parcours dans un support structurant peuvent jouer un rôle de catalyseur. Certains participants à des cercles de parole ou utilisant des livres-guides rapportent sentir une forme d'apaisement simplement en donnant une existence écrite à leur ressenti.
Faut-il toujours pardonner pour guérir ?
Il est important de rappeler que le pardon n’est pas une obligation morale. Il est parfois présenté comme le seul chemin valable vers la liberté intérieure ou la guérison, ce qui peut culpabiliser ceux qui n’y parviennent pas, ou ne souhaitent pas le faire. Certains traumas – abus, trahisons graves, violences durables – peuvent rendre le pardon trop tôt, ou trop violent, car il nie alors l’ampleur de ce qui a été vécu.
Dans ces cas, l’exploration émotionnelle, la mise en récit, et le fait de pouvoir dire « j’ai été blessé » sans chercher à excuser, peuvent déjà apporter une forme d’apaisement. Le pardon, plutôt qu'une étape imposée, devient alors un éventuel fruit du cheminement. Si certains ressentent qu’ils n’ont pas besoin de pardonner pour aller mieux, leur choix est tout aussi légitime que celui de ceux qui y aspirent.
Comment transmettre cette réflexion aux jeunes générations ?
Favoriser la transmission de ces expériences, qu’il s’agisse de pardons accordés ou refusés, de blessures dépassées ou encore sensibles, c’est aussi inviter au dialogue intergénérationnel. Beaucoup de petits-enfants ignorent les épreuves traversées par leurs grands-parents, ou confondent silence et paix intérieure. C’est souvent lorsqu’un proche s’ouvre à raconter son histoire que se dévoilent les dilemmes complexes qu’il a traversé.
“Raconte-moi ton histoire” s’inscrit dans cette volonté d’ancrer les récits de vie dans la mémoire familiale. Ce livre à compléter propose des questions structurantes, qui peuvent conduire à exprimer des blessures enfouies, réconciliées ou non. Il n’impose pas le pardon. Il laisse place à la nuance, permettant que celle-ci soit transmise comme une valeur humaine à part entière, à travers le vécu personnel.
À l’approche de moments symboliques – fêtes familiales, Noël, fins de vie – ces réflexions peuvent aussi être partagées sans pression ni attente, comme un récit de ce qui a été, pour que d’autres choisissent, à leur tour, leur propre voie.
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