Faut-il continuer à raconter des souvenirs à un proche malade ?

Quand un proche est touché par une maladie cognitive, comme Alzheimer ou une autre forme de démence, la question de la communication devient centrale. Que dire ? Comment ? Face à l’oubli progressif et à la perte d’autonomie, de nombreux aidants se demandent si raconter des souvenirs a encore un sens. Pourtant, évoquer le passé peut jouer un rôle apaisant, voire thérapeutique, pour les personnes malades comme pour leurs proches.

Le poids des souvenirs dans la relation avec un proche malade

Partager des souvenirs avec un proche malade, c’est souvent chercher à préserver un lien mis à mal par la dégradation progressive des capacités cognitives. Lorsque les mots se font rares, que l’orientation dans le temps se perd, la mémoire ancienne peut rester étonnamment intacte plus longtemps que la mémoire immédiate. Ceci est particulièrement vrai pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer : elles peuvent se souvenir avec netteté d’événements survenus il y a 30 ans, alors qu'elles ont oublié ce qu'elles ont mangé à midi.

Dans ce contexte, raconter des souvenirs familiaux, raviver les moments heureux, les lieux visités ou les habitudes passées, peut être une manière de réactiver cette mémoire ancienne et de susciter une réaction émotionnelle positive. Cela peut aussi donner un cadre de sécurité, rassurant pour la personne malade.

Les bénéfices émotionnels de la remémoration

La littérature médicale s’accorde sur plusieurs bienfaits : apaisement, diminution de l’anxiété, ralentissement de l’agitation et sentiment d’identité renforcé. Ces effets sont d’autant plus puissants lorsqu’ils sont accompagnés d’objets visuels ou sensoriels, comme des photos, des parfums ou des chansons de l’époque.

Un article de notre blog aborde justement l’impact émotionnel de la maladie d’Alzheimer sur la famille. Il montre que la remémoration peut aussi faire du bien à ceux qui accompagnent : elle donne un rôle actif, permet de revivre des instants de complicité et adoucit parfois le fardeau émotionnel du quotidien.

Raconter, même lorsqu’il n’y a pas de réponse

Un des plus grands doutes chez les proches est : « À quoi bon s’il ou elle ne répond pas ? » Mais il faut savoir que les personnes malades, même silencieuses, peuvent ressentir le réconfort d’une voix familière, la chaleur d’un souvenir évoqué. Le langage non verbal – une main serrée, un regard qui s’éclaire – peut parfois en dire long. Lorsque les mots ne viennent plus, le simple fait de parler, de raconter, de faire vivre des instants passés peut maintenir une forme de présence affective.

Un exemple simple : raconter une anecdote de jeunesse en regardant ensemble une photo de famille. Même si la personne ne réagit pas verbalement, l’effet émotionnel peut être réel. Cela rejoint certaines approches thérapeutiques non médicamenteuses, comme la réminiscence, déjà utilisées en institutions.

Utiliser des supports pour structurer les souvenirs partagés

Ce n’est pas toujours facile de trouver quoi raconter, ou dans quel ordre. Certains outils peuvent apporter un cadre et faciliter ces moments d’échange. C’est ce qui a inspiré la création du livre Raconte-moi ton histoire, un ouvrage à compléter contenant des questions guidées sur l’enfance, les traditions familiales, les choix de vie ou les souvenirs marquants. Même si toutes les réponses ne peuvent pas toujours être écrites par la personne elle-même, remplir ce livre ensemble peut permettre de laisser une trace, retenir ce qui peut encore l’être, et partager un moment ensemble.

Livre Raconte-moi ton histoire ouvert à la page d’un arbre généalogique

Raconter pour ralentir l’évolution de la maladie ?

Bien qu’elle ne puisse en aucun cas stopper la progression de la maladie, l’évocation régulière de souvenirs pourrait participer à la préservation des capacités cognitives. Dans notre article sur les activités de mémoire, on explore les différentes façons de solliciter les souvenirs à travers le jeu, le chant, l’écriture. L’idée est ici de stimuler les fonctions cérébrales, mais aussi de préserver le plaisir d’agir et d’interagir.

Autrement dit, le simple fait de raconter peut être une activité bénéfique en soi, et plus encore lorsqu’elle se fait dans un cadre affectif, bienveillant, et sans exigence de performance.

Adapter les récits à la réalité du quotidien

Chaque personne vit sa maladie différemment. Il est essentiel d’adapter les récits à l'instant présent. Certaines histoires peuvent apaiser, d'autres au contraire réveiller de la confusion ou de l’angoisse. Il est sage d’éviter les récits trop complexes ou chronologiques quand la personne a perdu ses repères temporels.

Une astuce : se concentrer sur les émotions véhiculées par l’histoire, plus que sur les détails. « Tu te rappelles quand on riait de ça ? », plutôt que « C’était le 16 juillet 1983, on était à Lyon... »

L’article sur le quotidien d'une personne atteinte d'Alzheimer aborde justement ce besoin d'adaptation dans la qualité des échanges.

Ne pas sous-estimer le rôle des souvenirs précoces

Les souvenirs d’enfance restent souvent les plus ancrés. Ils constituent une matière précieuse pour raconter. Dans l’article Est-ce que les personnes atteintes d’Alzheimer se souviennent de leurs premières années ?, on revient sur ce phénomène. Pour les proches, c’est une clé : évoquer la maison de famille, les grands-parents, les jeux d’enfance, peut éveiller quelque chose de profond, même dans un état avancé de la maladie.

Livre Raconte-moi ton histoire en boîte cadeau sous un sapin de Noël

Conclusion : continuer à raconter, même quand les mots s’effacent

Alors, faut-il continuer à raconter des souvenirs à un proche malade ? La réponse est oui, mais avec sensibilité, adaptation et bienveillance. Raconter, c’est créer un pont entre le passé et ce qui peut encore être partagé dans le présent. C’est aussi une manière de préserver une trace, pour soi et pour les générations après.

Le livre Raconte-moi ton histoire s’inscrit dans cette démarche : il devient un prétexte d’échange, un objet de transmission, et parfois, un soutien discret pour traverser la tempête de la maladie ensemble.

Pour aller plus loin, découvrez aussi notre article sur les moyens de maintenir le lien avec un parent malade.