La maladie d’Alzheimer frappe au cœur de ce qui fait notre humanité : notre mémoire, nos souvenirs, notre passé. Lorsqu’un proche en est atteint, une inquiétude récurrente surgit : que reste-t-il de leur histoire ? Peuvent-ils encore la raconter ? À travers cet article, nous explorons les possibilités et limites de la mémoire autobiographique chez les personnes atteintes d’Alzheimer. Parce que même si les souvenirs s’effacent, le lien, lui, peut encore se tisser autrement.
Comment la mémoire autobiographique est-elle affectée par Alzheimer ?
Alzheimer est une maladie neurodégénérative progressive qui touche principalement la mémoire épisodique, c’est-à-dire celle des événements personnels vécus. En d’autres termes, les souvenirs datés et contextualisés comme un mariage, la naissance d’un enfant ou des vacances particulières deviennent flous, incohérents, voire disparaissent. Pourtant, la mémoire sémantique (connaissances générales) ou procédurale (gestes appris) peut parfois perdurer plus longtemps.
Ce bouleversement engendre une difficulté croissante à se raconter, mais il n’éteint pas entièrement cette capacité, surtout aux premiers stades de la maladie. Des études ont montré que l’évocation de souvenirs anciens (ceux de la jeunesse ou de l'enfance) reste souvent plus accessible que les souvenirs récents. Il est donc possible, dans certains cas, d’amorcer une narration de soi structurée malgré la pathologie.
Pourquoi est-il important de permettre à un malade d’Alzheimer de raconter son histoire ?
Au-delà de la simple collecte de souvenirs, le fait de raconter leur histoire donne aux malades un sentiment d’identité, de continuité et de dignité. La réminiscence est reconnue comme une approche thérapeutique douce, qui contribue à améliorer l’humeur, réduire l’anxiété, et renforcer les liens sociaux et affectifs avec les proches.
Inviter un proche atteint d’Alzheimer à raconter certains épisodes de sa vie, même de façon fragmentée, peut faciliter la communication et aider à maintenir un lien affectif précieux, surtout lorsque les mots deviennent rares. Cela participe aussi à la constitution d’une mémoire familiale à transmettre aux générations futures, comme nous l’expliquions dans notre article Comment construire une mémoire familiale alors qu’un proche oublie tout.
Des outils pour accompagner la parole : questions guidées, images et objets
Face à un proche en perte de mémoire, il ne faut pas attendre un récit linéaire, mais plutôt favoriser des évocations spontanées. Pour cela, plusieurs outils peuvent être utiles :
- Les albums de souvenirs et photos de famille : Ils réveillent la mémoire visuelle et permettent d'enclencher des discussions. C’est ce que nous évoquions dans notre article Pourquoi les albums de souvenirs sont utiles face à l’Alzheimer.
- Des objets personnels : Parfum, bijoux, habits… peuvent être de puissants déclencheurs sensoriels d’émotion et de souvenirs.
- Les guides ou livres à compléter : Un support comme le livre Raconte-moi ton histoire propose des questions guidées qui permettent de structurer les échanges tout en soutenant la mémoire. Il ne s’agit pas de pression, mais d’une invitation douce à ouvrir la parole, à tout âge et à toutes étapes de la maladie.

Quand et comment engager une discussion sur les souvenirs ?
Le moment est aussi important que la manière. L’idéal est de choisir un temps calme, dans un lieu familier, et de s’armer d’écoute patiente. Voici quelques conseils :
- Commencer par les souvenirs anciens : Ils sont souvent les mieux conservés, et peuvent enclencher une dynamique de réminiscence.
- Utiliser le “je me souviens” comme porte d'entrée : Cela place le proche dans une posture active.
- Accepter les imprécisions : Le but n’est pas l’exactitude historique, mais le lien affectif et la continuité du sentiment d’identité.
Il est également bénéfique d’aborder certains souvenirs douloureux, si la personne s’en montre capable. Dans notre article Faut-il parler des moments tristes du passé à une personne atteinte d’Alzheimer ?, nous explorons les limites et bénéfices de ce type d’évocation.
Et si la parole ne vient plus ? Poser les bases autrement
Quand la parole devient difficile, d’autres formes de narration peuvent prendre le relais : l’écriture aidée, le dessin, la musique, ou même le toucher. Un membre de la famille peut aussi compléter un livre de souvenirs avec l’aide du parent, construisant un récit à deux voix.
Le livre Raconte-moi ton histoire trouve tout son sens dans cette approche. Conçu comme un carnet de vie à remplir petit à petit, il permet une transmission douce et respectueuse du vécu, en s’adaptant au rythme et aux possibilités de chacun.

Quand il est trop tard : préserver ce qui peut encore l’être
Parfois, la maladie est trop avancée pour permettre de raconter. Dans ces cas, le travail peut se faire autour de soi : rassembler les récits partagés par le passé, retrouver des documents, demander aux proches des anecdotes sur la personne atteinte. Construire une mémoire collective peut alors devenir un acte d’amour, de résilience, et de transmission.
Pour approfondir cette thématique, nous vous invitons à lire l’article suivant : Les souvenirs en danger : que faire quand la mémoire s’efface ?
Faire sens malgré l’oubli
Finalement, la capacité d’un malade d’Alzheimer à raconter son histoire ne dépend pas seulement de la mémoire. Elle dépend aussi du lien, du contexte, et de la bienveillance avec laquelle on encourage ce partage. Même fragmentée, l'histoire d'une vie mérite d’être racontée, entendue, honorée.
En créant de nouveaux rituels autour du souvenir, à travers la parole, les objets ou des supports comme Raconte-moi ton histoire, nous pouvons tous contribuer à garder vivant ce qui semble menacé. Comme nous l’avons évoqué dans cet article sur le lien et les souvenirs, la mémoire n’est jamais totalement perdue : elle peut renaître, parfois, dans un regard, un mot, une page tournée ensemble.