Crée-t-on encore des souvenirs avec quelqu’un atteint d’Alzheimer ?

Vivre aux côtés d’un proche atteint de la maladie d’Alzheimer bouleverse profondément notre rapport au temps, à la mémoire et aux souvenirs partagés. Face à la perte cognitive progressive, une question revient souvent : est-il encore possible de créer de nouveaux souvenirs avec une personne qui oublie chaque jour un peu plus ? Loin d’être simplement nostalgique ou douloureuse, cette réflexion ouvre la voie à une redéfinition du lien, de la présence et de la transmission. Découvrons comment, malgré la maladie, il est encore possible de vivre ensemble des instants porteurs de sens, même s’ils ne persistent pas toujours dans la mémoire.

Livre Raconte-moi ton histoire sur un lit avec un stylo

Alzheimer : une maladie qui bouleverse mais n’efface pas tout

La maladie d’Alzheimer affecte la mémoire, mais pas uniquement. Elle touche également le langage, les gestes du quotidien, le sens de l’orientation, les émotions et la perception des proches. Pourtant, dans les phases précoces et même intermédiaires, beaucoup de capacités restent intactes, notamment la mémoire émotionnelle. Celle-ci permet à la personne de ressentir une émotion sans forcément se souvenir de la scène qui l’a provoquée.

Ainsi, même si votre proche ne se souvient plus de la promenade au parc le lendemain, il pourra conserver une sensation de bien-être, de sécurité ou de joie associée à ce moment. Les souvenirs ne sont donc pas forcément absents : ils prennent parfois d’autres formes, plus diffuses et sensorielles.

Les souvenirs émotionnels : une mémoire plus profonde que les faits

De nombreuses études ont montré que la mémoire émotionnelle est souvent préservée plus longtemps chez les personnes atteintes d’Alzheimer. C’est cette mémoire qui permet de reconnaître l’affection dans un regard, la douceur dans une voix, ou l’apaisement d’une main posée sur la leur. Elle permet aussi de ressentir encore du plaisir à écouter une chanson familière, à sentir un parfum d’enfance, ou à feuilleter un album photo.

C’est pourquoi il est si précieux de continuer à partager des moments simples : cuisiner un plat aimé, chanter ensemble, retrouver des objets familiers, raconter une anecdote connue. Ces gestes peuvent ne pas être reconnus par la personne malade, mais ils créent une empreinte émotionnelle puissante.

À ce sujet, notre article explore en détail les bienfaits de raviver les souvenirs d’enfance chez une personne atteinte de la maladie.

Faut-il continuer à raconter des souvenirs à une personne qui ne s’en souvient plus ?

Partager des souvenirs, c’est aussi affirmer l’importance de l’histoire de l’autre, même si elle ne peut plus être restituée avec précision. En racontant des anecdotes, des origines familiales, ou des moments marquants, on réaffirme à la personne malade sa place dans le récit familial ou personnel. Cela contribue à lui redonner confiance, comme nous l’abordons dans cet article sur la confiance et les souvenirs.

L’acte de raconter est bénéfique, même si la personne ne répond pas comme avant. Il s’agit de tisser un lien différent, plus sensoriel, plus émotionnel, mais tout aussi fondamental. C’est aussi l’occasion pour l’aidant de se reconnecter à ce qui est précieux dans sa relation avec la personne atteinte d’Alzheimer. Un regard échangé, un sourire, une main serrée deviennent alors une forme de souvenir partagé, même fugitif.

Des outils pour préserver ce qui peut l’être

Pour accompagner ce processus, certains outils facilitent la transmission et la préservation de la mémoire. Les carnets de souvenirs, les albums photo, les enregistrements audios ou vidéos offrent un support pour continuer à faire vivre l’histoire d’un proche. Même si les réponses deviennent plus rares, ces outils peuvent encourager l’évocation tout en créant un espace apaisant et structurant.

Par exemple, le livre Raconte-moi ton histoire propose un parcours guidé à travers des questions touchant à toutes les étapes de la vie, des origines familiales aux traditions, en passant par les bonheurs simples et les moments fondateurs. Offert à un proche – parfois même avant l’apparition des premiers symptômes – il devient une trace précieuse pour la famille, un testament affectif et narratif.

Livre Raconte-moi ton histoire ouvert à l’arbre généalogique

Ce livre peut aussi être utilisé comme média de partage régulier : lire ensemble une page, évoquer un souvenir inscrit, compléter progressivement lorsqu’une conversation le permet – autant de façons d’ancrer les relations dans un socle commun.

Créer de nouveaux souvenirs... pour soi aussi

Quand la personne atteinte ne peut plus se souvenir, l’aidant ou le proche devient le dépositaire du moment. Ce n’est pas une perte totale : c’est une réorientation. On ne partage plus un souvenir dans un aller-retour constant, mais dans une forme plus asymétrique. Pourtant, ces instants vécus ensemble continuent à enrichir celui qui accompagne. Ils deviennent des repères dans son propre parcours, un héritage affectif transmis plus tard à d’autres.

Les familles peuvent ainsi décider de documenter cette relation en évolution : photos, récits courts, petits mots notés chaque jour. Cela devient une matière précieuse, notamment lors des périodes de deuil anticipé ou après la disparition du proche. À ce titre, notre article détaille les façons de préserver ce que la mémoire efface.

Redéfinir ce qu’est « créer un souvenir »

Nous avons tendance à définir les souvenirs comme des expériences vécues et mémorisées. Dans le contexte d’Alzheimer, cette définition évolue. Créer un souvenir devient un acte d’amour, de présence, qui n’a pas besoin d’être inscrit dans la mémoire de chacun pour avoir une valeur. C’est la qualité du moment, aussi simple soit-il, qui compte davantage que sa rémanence.

Un goûter partagé, un après-midi à écouter des musiques connues, un moment de silence en regardant des photos, une page remplie ensemble dans un carnet de vie : tout cela peut être un souvenir, même s’il ne prend pas la forme classique d’un récit conservé dans le temps.

Conclusion : continuer à vivre ensemble, envers et contre l’oubli

Être aux côtés d’un proche atteint d’Alzheimer, c’est apprendre à vivre dans un présent élargi, où la trace laissée ne passe plus uniquement par la mémoire mais aussi par les gestes, les regards et l’attention portée. C’est peut-être l’une des plus belles leçons de cette maladie : nous rappeler que la valeur d’un instant ne dépend pas toujours de sa conservation future, mais de sa sincérité au moment où on le vit.

Dans cette perspective, créer des souvenirs n’est pas un objectif impossible. C’est un engagement bienveillant, un choix de présence, un acte d’amour renouvelé. Et pour celles et ceux qui souhaitent préserver encore davantage la mémoire et l’histoire de leurs proches, même fragmentaire, il existe des moyens concrets et sensibles évoqués dans cet article sur la transmission en période de perte de mémoire.