Certains souvenirs s’imposent à nous comme des cicatrices impossibles à ignorer. Conflits familiaux, deuils, épreuves de santé, migrations forcées, instabilités économiques, ruptures sentimentales... Chacun porte en soi des moments de vulnérabilité. Pourtant, ces expériences, aussi douloureuses soient-elles, méritent d’être nommées, transmises, comprises. Raconter les moments difficiles avec bienveillance n’est pas seulement une démarche de libération personnelle. C’est aussi un acte de transmission humaine et intime.
Pourquoi partager les moments douloureux de sa vie ?
Conserver le silence autour des épisodes sombres peut sembler protecteur. Mais à long terme, cela peut engendrer des incompréhensions générationnelles, un isolement émotionnel, ou une forme d’oubli qui fragilise le socle familial. Paradoxalement, parler de ce qui a fait mal est un moyen de tisser des liens solides, d’inviter l’autre à mieux nous connaître, et parfois, de guérir. C’est aussi une manière de construire une narration cohérente de sa propre vie, en intégrant les zones d’ombre à la lumière.
Des études en psychologie narrative (notamment de l’Université d’Emory) ont montré que les enfants qui connaissent les récits familiaux, y compris les difficultés traversées, développent une meilleure estime d’eux-mêmes et une plus grande résilience face aux épreuves. Ce n’est donc pas un hasard si, dans certains cercles familiaux, le fait de retracer son histoire est considéré comme un vrai geste d’amour envers ses enfants.
Choisir le bon moment et le bon cadre
Il n’est jamais facile de se livrer. Le moment et le contexte dans lequel on le fait jouent énormément sur la qualité de la transmission. Il faut parfois attendre d’être prêt. Un souvenir peut rester enfoui pendant des années, puis, un jour, émerger dans une discussion, un rituel, une activité partagée.
Il peut être judicieux d’instaurer un rythme, un espace dédié au récit, comme le propose par exemple le rituel du dimanche, où l’on pose chaque semaine une question de vie à ses parents. Ce rythme doux, sans pression, peut ouvrir des portes insoupçonnées à la parole.
Employer un langage bienveillant et respectueux
Parler de sujets sensibles, c’est manier des émotions brutes. Il est donc essentiel de choisir des mots qui apaisent plutôt que des termes blessants. Se respecter dans son propre récit tout en préservant la place des autres implique un véritable travail de langage.
Voici quelques conseils simples :
- Parlez à la première personne. Préférez « J’ai ressenti... » à « Tu m’as fait... ».
- Évitez l’accusation. Distinguez les faits de l’interprétation.
- Reconnaissez vos émotions sans chercher à les justifier.
- Laissez ouvert un espace de dialogue, même si ce n’est pas immédiat.
Les outils pour accompagner la parole
Mettre en mots les souvenirs douloureux peut se faire de manière orale, mais certains trouvent plus de confort dans l’écriture. Écrire permet de poser, de revisiter, de reformuler jusqu’à trouver les termes justes. Cela autorise aussi une mise à distance, bénéfique quand l’événement reste vif.
Pour cela, des outils existent. Carnets de questions-guides, livres à compléter, enregistrements audio ou vidéo... Le livre “Raconte-moi ton histoire” en fait partie. Il propose, à travers des dizaines de questions délicatement formulées, une manière progressive d’aborder les étapes de sa vie, y compris les plus discrètes ou les plus intimes, dans un cadre sécurisant.

Utiliser un tel support permet d'éviter la confrontation directe, souvent redoutée. Il donne la possibilité de se confier dans l’intimité d’un moment d’écriture, avant éventuellement de partager ce contenu avec ses proches.
Accepter de ne pas tout raconter
Parler avec bienveillance de sa vie ne signifie pas tout révéler. Le choix de ce qu’on transmet reste très personnel. Il est possible de mentionner un événement sans en détailler les moindres aspects, ou d’évoquer une période difficile en mettant l’accent sur ce qu’on en a appris plutôt que sur la douleur elle-même.
L’essentiel est d’être sincère dans sa démarche, sans se violenter. Beaucoup trouvent utile de faire un travail préalable de sélection de souvenirs, pour faire le tri dans leur mémoire et prioriser les messages qu’ils souhaitent laisser.
Inclure les autres dans le processus
Les moments de récit peuvent impliquer les membres de la famille. Le dialogue intergénérationnel enrichit la mémoire collective. Un enfant peut parfois poser une question qui débloque un souvenir oublié. Un petit-enfant peut avoir une écoute différente.
Certaines personnes âgées, parfois peu disposées à raconter, peuvent retrouver goût à parler si l’exercice s’inscrit dans une dynamique familiale bienveillante. Ce sujet est d’ailleurs approfondi dans notre article : Comment aider une personne âgée à retrouver le goût de raconter.

Respecter la diversité des mémoires
Dans certains cas, notamment lorsqu’il est question d’exil, de traumatismes liés à l’histoire politique ou sociale, le récit peut être plus complexe. L’article Comment partager ses souvenirs d’immigration ou d’origine culturelle explore cette dimension. Il est crucial d’aborder ces mémoires avec respect, de permettre à chacun de choisir la manière dont il souhaite livrer son histoire, sans jamais forcer ni détourner le sens.
Transformer la difficulté en héritage
Lorsque la parole est libérée, même partiellement, elle devient un héritage. Elle permet aux générations suivantes de mieux comprendre les fondations invisibles mais puissantes de leur famille. Elle évite les tabous, libère des non-dits, et cultive une mémoire saine, complète, profondément humaine.
En laissant une trace écrite ou orale, chaque individu offre aux siens un trésor de vérité et d’authenticité. Transmettre les moments difficiles, c’est transmettre aussi la capacité à les surmonter, c’est un acte d’empouvoirement silencieux et durable.
Finalement, prendre le temps de raconter sa vie avec sincérité et bienveillance, c’est rappeler qu’aucun vécu n’est insignifiant et que chacun porte en soi la matière d’un récit précieux digne d’être partagé.