Le pardon est souvent décrit comme un acte personnel, intime, presque mystique. Pourtant, nos aptitudes à pardonner — ou à refuser le pardon — ne naissent pas dans un vide. Elles s’enracinent dans notre histoire, notre éducation émotionnelle, nos croyances, mais aussi dans les récits que nous avons entendus et intégrés dès notre enfance. Quels rôles jouent les récits de famille dans cette construction intérieure ? Comment influencent-ils notre disposition à accorder le pardon ou à rester enfermés dans la rancune ?
L’importance des récits familiaux dans la construction émotionnelle
Dès notre plus jeune âge, nous sommes nourris par les histoires que racontent nos proches : anecdotes heureuses, drames anciens, secrets tus ou révélations tardives. Ces récits ne sont jamais neutres. Ils véhiculent des valeurs implicites — sur la loyauté, la trahison, la résilience, mais aussi le pardon.
Par exemple, un enfant à qui l’on raconte souvent que son grand-père « n’a jamais reparlé à son propre frère à cause d’une vieille affaire d’héritage » apprendra que certains actes sont impardonnables. À l’inverse, une famille qui valorise le dialogue et la réconciliation transmet l’idée que même les blessures profondes peuvent être guéries.
Ces récits deviennent des repères pour nos propres réactions. Ils forment une sorte de carte affective qui nous guide, parfois inconsciemment, lorsque nous devons faire face à une offense ou une trahison.
Le silence familial : une entrave au pardon ?
Derrière les histoires racontées, il y a également celles qui ne sont jamais dites. Ces silences ont aussi un pouvoir structurant. Ne pas comprendre pourquoi deux membres de la famille sont brouillés peut laisser place à l’imagination, au ressentiment transmis, ou à la peur des conflits. Le silence, en matière de transmission familiale, est rarement neutre.
Nombreux sont les adultes qui, en découvrant tardivement une vérité familiale (une adoption, une liaison, un conflit ancien...), sont confrontés à un sentiment de trahison indirecte, car ils ont été tenus à l’écart d’une partie essentielle de leur histoire. Le pardon devient alors double : il faut pardonner l’offense initiale, mais aussi le silence entretenu.
Quand les histoires deviennent un outil de transmission du pardon
Mais certains récits familiaux jouent au contraire un rôle libérateur. Le témoignage d’un parent ou d’un grand-parent sur une période douloureuse, sur un conflit dépassé, peut devenir une véritable leçon de vie. En montrant qu’il est possible de surmonter une blessure, ces histoires offrent une perspective de résilience.
Dans certains cas, transmettre son histoire avec sincérité et vulnérabilité permet même de guérir des générations futures. C’est ce que montre bien notre article Quand le pardon devient un héritage familial. Le simple fait de verbaliser un événement, surtout s’il a été longtemps tu, permet à ceux qui écoutent de donner du sens, et d'ouvrir un espace émotionnel au pardon.

Pardonner, c’est aussi réécrire sa propre narration
Dans la plupart des cas, pardonner ne signifie pas oublier. Cela veut souvent dire choisir de raconter autrement ce qui s’est passé, en tenant compte d’éléments nouveaux, en reconsidérant les intentions de l’autre, ou en acceptant notre propre part de responsabilité. Ce processus est largement abordé dans notre article Comment le pardon peut transformer notre façon de raconter notre passé.
Les histoires de famille sont des narrations vivantes, réécrites à chaque génération. Lorsqu’un membre décide de pardonner là où d’autres ont entretenu la rancune, il modifie la narration collective. Il redéfinit ce qui est acceptable, il brise des cycles.
Dans cette perspective, écrire ou relayer une histoire familiale — avec ses blessures, mais aussi ses résolutions — devient un acte quasi thérapeutique.
Ouvrir la parole grâce à des supports adaptés
Encore faut-il trouver les bons outils pour initier ces discussions. Dans de nombreuses familles, parler de blessures anciennes ou de conflits reste un tabou. Pourtant, il existe des moyens simples et bienveillants d’amorcer la parole. Le livre Raconte-moi ton histoire offre ce type d’espace. Il propose une série de questions guidées que chacun peut compléter à son rythme, seul ou en famille. Ces questions invitent à se souvenir, mais aussi à transmettre — pas seulement les réussites, mais aussi les zones d’ombre, les moments de doute, et les chemins vers le pardon.

Ce travail, s’il est mené avec sincérité, permet aux générations suivantes de mieux comprendre, de mieux situer les événements passés, et de reprendre le fil d’une histoire parfois brisée.
Réconcilier les générations à travers le récit
Les histoires de famille, lorsqu’elles sont partagées pleinement et sans jugement, peuvent devenir des ponts inattendus entre les générations. Nombreux sont les grands-parents qui, en racontant avec émotion leurs propres erreurs ou pardons, permettent à leurs petits-enfants d’intégrer une boussole morale nuancée, loin des idées manichéennes de biens ou de maux irréparables.
Mieux encore, témoigner de son propre parcours face au pardon peut donner aux plus jeunes une ouverture précieuse. Notre article Témoigner de son expérience pour aider ses petits-enfants à comprendre le pardon évoque d’ailleurs cette possibilité de transmission préventive du pardon, presque éducative.
Ainsi, le récit de famille n’appartient pas au passé : il est un levier d’évolution psychique et relationnelle pour ceux qui l’écoutent. Il ne s’agit pas seulement de transmettre une mémoire, mais aussi une culture émotionnelle.
Conclusion : Se raconter pour mieux comprendre et pardonner
Comprendre comment le passé familial façonne notre rapport au pardon est une démarche essentielle pour sortir de certains schémas répétitifs. Trop souvent, nous perpétuons des comportements sans les remettre en question, simplement parce qu’ils nous ont été transmis comme des vérités.
Rompre avec certains récits n’est pas trahir sa famille — c’est au contraire honorer son héritage en y apportant de la conscience et de la nuance. Relater son histoire, l’écrire, et parfois l’offrir à d’autres, comme le permet un livre à compléter tel que Raconte-moi ton histoire, peut ainsi devenir un acte fondateur.
Et si le pardon commençait par là : oser écouter, oser raconter, oser comprendre ce qui s’est vraiment transmis ? Pour creuser davantage le sujet, découvrez notre réflexion sur comment pardonner une douleur d’enfance et le pardon comme étape de reconstruction personnelle.