Dans chaque famille, il existe des silences, des zones d’ombre, des sujets évités ou dissimulés parfois depuis des générations. Ces non-dits peuvent être liés à des blessures anciennes, des traumatismes, ou simplement à des tabous entretenus par habitude ou par peur de blesser. Pourtant, leur poids peut traverser les âges et influencer les générations futures sans qu’elles sachent vraiment pourquoi.
Aborder ces non-dits avec délicatesse, sans heurter, sans forcer, mais avec bienveillance et patience, peut jouer un rôle fondamental dans la compréhension de l’histoire familiale et l’apaisement des tensions invisibles.
Pourquoi les non-dits pèsent sur les générations futures ?
Les secrets de famille – qu’ils concernent une origine inconnue, des faits de guerre, un enfant abandonné ou un drame non raconté – laissent souvent des traces émotionnelles. La psychogénéalogie, popularisée notamment par Anne Ancelin Schützenberger, a largement exploré ces « loyautés invisibles » qui amènent des descendants à vivre, inconsciemment, les souffrances non exprimées de leurs ancêtres.
Mettre des mots sur le passé peut apaiser les tensions présentes. Mais comment créer un espace sécurisant pour que ces récits puissent émerger naturellement ?
Créer un climat de confiance avant toute tentative
Avant même d’aborder quoi que ce soit de sensible, il est essentiel de créer un climat de confiance pour parler des douleurs du passé. Cela passe par la posture d’écoute, l’absence de jugement et le respect de la temporalité d’autrui.
Être à l’écoute, c’est aussi accepter que l’autre ne soit pas prêt. Il est fréquent que les personnes âgées, en particulier, aient besoin de temps avant de se sentir en sécurité pour revenir sur des souvenirs enfouis. Les silences ne signifient pas un refus, mais parfois une simple peur de raviver des douleurs. Offrir un cadre doux et sans pression permet souvent d’ouvrir une brèche dans le silence.

Choisir le moment et le lieu avec soin
Il n’y a pas de bon moment unique pour parler des non-dits, mais certains contextes s’y prêtent mieux que d’autres. Les périodes de retrouvailles familiales, les longs trajets ensemble ou les soirées calmes peuvent devenir des occasions propices à l’échange.
Créer un moment propice pour parler des souvenirs enfouis en famille passe par une certaine ritualisation : proposer une tasse de thé, feuilleter en même temps un album photo ou un carnet de souvenirs peut être un déclencheur. Cet environnement rassurant contribue à libérer la parole.
Dans cette optique, des outils comme le livre Raconte-moi ton histoire peuvent jouer un rôle particulièrement intéressant : il s'agit d’un support structuré, rempli de questions guidées, qui permet doucement aux souvenirs de s’exprimer. Il ne s'agit pas d'un interrogatoire, mais d'un écrin de mémoire à compléter à son rythme.

Adopter une posture d’écoute active et bienveillante
Une fois le moment déclenché, l’essentiel est dans l’écoute. Ce que la personne choisit de dire – ou de ne pas dire – lui appartient. Il convient d’éviter de la pousser, de la questionner trop abruptement ou de vouloir remplir les blancs à sa place.
L’écoute active consiste à offrir toute son attention, à reformuler parfois avec douceur ce qui est partagé : “Tu veux dire que cela a été très difficile pour toi ?” ou “C’est un souvenir qui reste fort encore aujourd’hui”. Ces reformulations montrent à l’autre qu’il est compris et respecté.
Des lectures complémentaires sur le sujet, comme comment aider un parent à se confier sur les moments difficiles de sa vie, permettent de mieux se préparer à recevoir les confidences.
Respecter les silences et les limites
Parvenir à faire parler un proche ne doit jamais être une finalité absolue. Certains secrets resteront des secrets, par choix. Le respect de cette décision est une preuve de maturité affective : ce n’est pas parce que l’autre ne confie pas tout qu’il ne nous aime pas ou qu’il ne veut pas transmettre. Parfois, protéger est une forme de douceur.
N’oublions pas que les générations passées ont souvent grandi dans un autre rapport à la parole, parfois marqué par des injonctions de silence ou des traumatismes indicibles (guerre, abus, pauvreté, séparation, etc.). Leur rythme est à accueillir sans jugement.
Quand le passé s'éclaircit, comment accompagner cette transmission ?
Le moment où le non-dit commence à se lever peut être chargé émotionnellement, aussi bien pour celui qui parle que pour celui qui écoute. Il peut faire naître des sursauts d’émotion, de la colère, des larmes, mais aussi un grand soulagement.
Accompagner cette parole, c’est être là, sans vouloir résoudre, sans chercher à influer. C’est offrir simplement sa présence. Il peut être utile de reprendre certains éléments en les recontextualisant, en les notant, ou même en les enregistrant si l’accord est donné.
C’est d’ailleurs dans cette optique que certains choisissent d’utiliser des supports comme Raconte-moi ton histoire : en laissant le choix aux proches de remplir eux-mêmes le livre, à leur rythme, certaines confidences trouvent leur place plus librement qu’à l’oral.
Faire la paix avec les silences du passé
Il n’est pas toujours possible de tout savoir, tout comprendre. Il arrive que les parents ou grands-parents ne puissent – ou ne veuillent – pas tout dire. Apprendre à faire la paix avec le passé familial demande parfois un travail personnel, que chacun peut effectuer à son rythme, seul ou accompagné.
Comme nous l'expliquons dans cet article dédié aux premières étapes pour faire la paix avec le passé familial, il ne s'agit pas d'oublier, ni de minimiser, mais de comprendre que l’on peut vivre avec les zones d’ombre sans être défini par elles.
Encourager la parole sur plusieurs générations
En choisissant de parler, d’écouter et de transmettre, on ouvre une voie. Les plus jeunes peuvent alors poser des questions avec respect, consulter les récits écrits, s’approprier leur histoire avec davantage de clarté.
Créer un espace de parole bienveillant avec ses proches âgés – comme exploré dans cet article sur le sujet – permet non seulement d’éclairer le passé, mais aussi de renforcer les liens intergénérationnels et donner du sens aux relations.
La mémoire familiale n’a pas besoin d’être parfaite pour être précieuse. Elle a besoin d’être transmise avec sincérité, pudeur et amour. Chaque fragment, chaque confidence est une pierre posée pour édifier un récit plus complet, une histoire à laquelle chacun peut s’identifier.